I) Joseph MERKLIN (1)

Joseph Merklin naît le 17 février 1819 à Oberhausen dans le Duché de Bade. Aussitôt en âge d'apprendre un métier, il se lance dans la facture d'orgues aux côtés de son père Franz Joseph (2).

En 1837 (il est alors âgé de 18 ans), il quitte l'atelier familial pour poursuivre son apprentissage chez Friedrich Haas (3) à Berne en Suisse. C'est à cette occasion qu'il expérimente une technique alors révolutionnaire : il découvre les sommiers à pistons et effectue des travaux sur ceux-ci. Joseph Merklin sera attiré tout au long de sa vie par les techniques nouvelles. En ces temps de révolutions industrielles, il choisira les voies les plus novatrices, ce qui le démarquera nettement de son concurrent le plus rude, Aristide Cavaillé-Coll qui refusera plus tard l'application de l'électricité aux tractions des orgues.

Homme sûr de lui, assimilant très rapidement l'enseignement dispensé, Joseph Merklin décide de compléter sa formation chez le " plus grand facteur d'orgue du monde " de l'époque. Pendant 6 mois, de la fin de l'année 1837 jusqu'à la moitié de l'an 1838, il est embauché par Eberhard Friedrich Walcker (établi à Ludwigsburg dans le Wurtemberg). Puis, désireux d'exercer son métier d'une façon autonome, il retourne dans l'atelier de son père à Fribourg-en-Brisgau. Franz Joseph, impressionné par les capacités de son fils, lui laisse prendre toutes les initiatives qui lui reviennent. C'est à son père que Joseph présentera en premier son fidèle camarade rencontré à Ludwigsburg, Friedrich Schütze. Cet ami de toujours deviendra par la suite son associé. Dès 1840, Joseph réalise un instrument entièrement conçu d'après ses plans, il s'agit de l'orgue de Hinterzarten.

Ce succès naissant lui offre une nouvelle opportunité : W. Korfmacher lui propose une place de contremaître afin de superviser ses ateliers à Linnich. Ce poste d'envergure ne sera qu'un tremplin pour un homme aussi téméraire : en 1843, il inaugure son premier atelier de facture d'orgue à Ixelles-lez-Bruxelles en Belgique. Sa renommée lui fait alors valoir 3 commandes d'orgues neufs.

En 1847, un an après son mariage, son entreprise en pleine expansion se voit décerner une médaille de vermeil à l'Exposition des produits de l'industrie Belge. Les marchés s'accumulant, les tournées de prospections et de promotion se multipliant, Joseph Merklin se rend compte qu'un appui solide serait une solution pertinente pour maintenir le cap ascendant de ses ateliers. C'est donc en 1849 qu'il s'associe avec son contremaître le plus fidèle : Friedrich Schütze. La célèbre entête " Merklin-Schütze " fait son apparition sur les instruments construits dès cette date. L'évolution florissante de l'entreprise suit un parcours logique et devient une société en commandite dès 1853 ayant pour raison sociale " J. Merklin-Schütze et Cie ".

En 1855, un fait marquant et décisif intervient dans le destin de la fabrique de grandes orgues : Joseph Merklin fait l'acquisition des ateliers parisiens de Daublaine-Callinet alors en faillite. Dès lors, honneurs officiels se font monnaie courante. La même année, il obtient une médaille de 1e classe à l'Exposition Universelle de Paris, ainsi que la médaille du chevalier de l'ordre de Léopold de Belgique. Joseph Merklin consacre son arrivée dans la capitale française avec l'inauguration de son premier instrument parisien à l'église Saint-Eugène-Sainte-Cécile le 9 mai 1856. L'essor définitif est lancé : l'Oeuvre de Joseph Merklin sera mondialement reconnue ou ne sera pas ! L'année suivante, le prestigieux marché européen peut s'enorgueillir du premier chef- d'œuvre monumental construit par la société "J. Merklin-Schütze et Cie" : l'orgue de la Cathédrale de Murcie en Espagne.

Joseph Merklin installera des orgues en Alsace à partir de 1860 et jusqu'en 1881. Les premiers instruments (construits de 1860 à 1868) seront l'écho des volontés locales de posséder un orgue de prestige (à la pointe de la modernité) issu des ateliers de la capitale. Les trois derniers (construits après l'annexion de 1871) seront la marque d'un signe protestataire contre l'invasion prussienne (Merklin obtiendra la nationalité française en 1875). Voici la liste (4) des instruments (5) que l'organier a construit en alsace :

1860 : Blotzheim, Ranspach.
1861 : Wintzenheim, Eglise de la Toussaint à Strasbourg, Wittelsheim.
1863 : Le Bonhomme.
1866 : Willer-sur-Thur, Dambach-la-Ville.
1869 : Fortschwihr.
1877 : Temple Neuf de Strasbourg.
1878 : Orgue de chœur de la cathédrale de Strasbourg.
1881 : Obernai (6).

A la veille de la guerre de 1870, Joseph Merklin quitte ses fonctions de directeur de la société anonyme de 1858 établie à Bruxelles. Les exigences financières attendues par les principaux actionnaires ne lui laissaient plus le pouvoir de décision dont son tempérament d'artiste avait besoin. Il part s'installer définitivement à Paris pour créer sa propre manufacture d'orgues. Peu après, la guerre est déclarée (le 19 juillet) et au mois de septembre, Joseph Merklin, d'origine allemande, est expulsé de France. Il organise en toute hâte un établissement provisoire en Suisse, à Martigny-la-Ville. En 1871, il trouve meilleur refuge à Romont (toujours en Suisse), où les autorités locales lui passent commande de plusieurs orgues neufs. Son exil forcé ne l'empêche pas d'effectuer des allers-retours clandestins entre la Suisse et Paris. Il ne veut pas laisser ses ateliers à l'abandon : l'issue de la guerre semble s'annoncer, il faut anticiper un redémarrage de l'entreprise. En effet, le 10 mai 1871, le Traité de Francfort est signé.

Après un retour définitif dans les ateliers parisiens, un nouvel événement capital se produit : Joseph Merklin profite de l'opportunité du renouveau de la musique liturgique à Lyon et aux alentours pour implanter de nouveaux ateliers. Plus que jamais, l'ascension de son entreprise atteint son apogée. Pour parer au regain d'activité que lui occasionnent ses ateliers lyonnais, il fait agrandir ceux de Paris en 1873.

En 1875, après plusieurs tractations houleuses, Joseph Merklin obtient la nationalité française. En 1880, il trouve en l'abbé H.-J. Ply son plus fidèle panégyriste. L'homme de foi lui consacre un livre faisant suite à sa prestigieuse restauration de l'orgue de l'église Saint- Eustache de Paris en 1879 (7). Un appui sérieux (son gendre, Charles Michel) permet de constituer une nouvelle société. Elle porte désormais le nom "Merklin et Cie".

Quelques temps après, un terrain de conquête inexploré apparaît pour l'entreprise avec l'application de la traction électro-pneumatique (de type Schmoele-Mols) aux tirages des notes et des jeux. Le premier instrument de la sorte est inauguré au nouveau temple des Brotteaux à Lyon en 1884. Deux années plus tard, ce système franchit une nouvelle étape : c'est l'électricité seule qui régit la transmission de l'orgue de l'église Saint-Nizier à Lyon. Ce mode de " traction " porteur d'avenir permet de placer la console générale à une distance de 70 mètres par rapport au buffet. C'est un procédé révolutionnaire qui admet notamment de construire des orgues sur des petites tribunes qui ne donneraient pas la possibilité de placer une console indépendante. Il induit aussi une façon inédite de concevoir les plans sonores : une mécanique n'oblige plus le facteur d'orgues à placer les sommiers près de la console ou dans le buffet. De plus, le toucher de tous les claviers s'en trouve allégé. La pérennité du système se confirme avec la publication en 1887 d'une "notice sur l'électricité appliquée aux Grandes Orgues" (8). En 1889, la société "Merklin et Cie" reçoit sa trente-deuxième commande d'orgue à transmission électrique (Notre-Dame de Valenciennes).

Un désaccord entre Joseph Merklin et Charles Michel va entraîner la dissolution de leur société (1894). Les ateliers de Lyon sont alors supprimés. Mais, Joseph Merklin trouve rapidement un nouvel associé en la personne de Joseph Gutschenritter et fonde avec lui la "Manufacture de grandes orgues J. Merklin et Cie". Cette collaboration donnera lieu à des recherches originales sur le plan technique : un exemple en est donné avec l'instrument construit pour la cathédrale de Boulogne-sur-Mer en 1897 : il possède un système de sommiers qui est une synthèse entre un sommier à gravures et un sommier à pistons. Il est actionné par une traction pneumatique.

L'année suivante, Joseph Merklin prend peu à peu du recul avec son associé et cède ses parts sociales à un ingénieur, passionné de facture d'orgues (9) : Philippe Decock. Il se retire progressivement de l'entreprise pour finalement quitter Paris et se fixer à Nancy en 1899.

Joseph Merklin décède en 1905, laissant à la postérité un patrimoine culturel, cultuel et technique aussi riche que conséquent.

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(1) Sauf mention contraire, les éléments biographiques qui suivent sont inspirés du livre de Michel Jurine, Joseph Merklin : facteur d'orgues européen, Paris, Edition Association Aristide Cavaillé-Coll, Aux Amateurs de Livres, diffusion Klincksieck, 1991, en 3 volumes (270 pp. , 433 pp. , 285 pp.).

(2) " Né en 1788, à Oberhausen, il avait étudié la facture des pianos et des orgues à Wurtzbourg, à Munich et principalement à Vienne, où il deumera 7 ans. Revenu dans son pays natal, en 1816, il fonda une maison de facture d'orgues, d'où sont sortis plusieurs instruments très-estimés que l'on peut entendre dans les églises du Grand-Duché de Bade. " In : Abbé H.-J. PLY, La facture moderne étudiée à l'orgue de Saint-Eustache, Lyon, Perrin et Marinet, 1880, p. 106.

(3) Ce facteur d'orgues possédait une réputation sûre : il avait travaillé pour l'entreprise Walcker pendant un an. De plus, Aristide Cavaillé-Coll le tenait en haute estime : il l'avait recommandé aux autorités mulhousiennes en 1863 pour faire partie de l'équipe d'experts nécessaire à la réception de son unique opus en alsace. In : Pie Meyer-Siat, " L'orgue Cavaillé-Coll de Mulhouse ", Archives de l'Eglise d'Alsace, tome XLVII, 1988, pp. 127-143.

(4) Pie Meyer-Siat, " Etudes Joseph Merklin, facteur d'orgues ", Archives de l'Eglise d'Alsace, tome VII de la troisième série, 1987, pp. 277-308.

(5) Les églises soulignées sont celles où persiste encore l'instrument de Joseph Merklin. Celles en italiques correspondent aux églises où subsiste uniquement le buffet. Les autres instruments n'existent plus.

(6) Pour consulter de très bons articles sur le sujet, nous renvoyons le lecteur aux sources suivantes : D. Kern, C. Lutz, C. Muller, G. Poinsot, " L'orgue Merklin, un choix politique ", " Joseph Merklin et l'Alsace ", Obernai (Bas-Rhin ), église Saints-Pierre-et-Paul, La restauration de l'orgue Merklin, Patrimoine restauré en Région Alsace n°6, août 2001, pp. 11-12 et 15-16.

(7) Abbé H.-J. Ply, La facture moderne étudiée à l'orgue de Saint-Eustache, Lyon, Perrin et Marinet, 1880.

(8) Joseph Merklin, Notice sur l'électricité appliquée au grandes orgues, Paris, Lyon, E. Watelet, 1887, 14 pp.

(9) Michel Jurine, Joseph Merklin : facteur d'orgues européen, Paris, Edition Association Aristide Cavaillé-Coll, Aux Amateurs de Livres, diffusion Klincksieck, 1991, tome 2, p. 50.